Durant la pandémie qui a touché le monde, le gouvernement français a décidé de classer certaines catégories de personnes comme NON-ESSENTIELLES. C'est à ces « non-essentiel » que ce travail est dédié. Partant avec l'envie de récolter des témoignages de tous corps de métier, il s'est avéré que de nombreux artistes m'ont contacté pour apporter leur vision sur le sujet. C'est alors que j'ai découvert des personnes à la résilience incroyable. En effet, après un dizaine de rencontre, je me suis aperçu que ce projet prenait une tournure inattendue, il est devenu un éloge à la résilience des artistes et auteurs. Leur capacité d'adaptation déjà indispensable à leur profession s'est avérée une force de plus durant cette crise et cette mise à l'écart nationale. Artiste, un métier adulé pour l'aura qui l'entoure et pourtant si souvent méprisé par l'état et la société.
Être coincée
Yui - Circassienne
Ma démarche consistait à demander à ces volontaires de me donner un mot, un ressenti face à l’appellation « non-essentiel » et ce que cela avait déclenché en eux.
A partir de là, j'ai cherché des références picturales classiques en lien avec leur choix de mot pour rendre hommage aux musées, également relayé au rang de non-essentiel. Musées dont la visite est prescrite par des médecins dans certains pays pour lutter, en autre, contre la dépression ; fléau qui s'est installé d'autant plus durant ces deux dernières années et notamment chez les jeunes.
Et j'ai ensuite réalisé les séances photos dans un décor neutre. Chaque témoin a apporté un objet symbolique de son métier. Le fond noir permet à cet objet et à la pose en référence à l'histoire de l'art d'être au centre de l'attention. De ces tableaux modernes, nous apprenons ce qu'a été cette partie de l'histoire mondiale pour cette tranche de la population, car n'est-ce pas grâce à l'histoire que nous sommes censé retenir les leçons du passé ?
La deuxième partie du projet consiste à interviewer ces « non-essentiels ». Les paradoxes se sont alors révélés. Quand bon nombre de personnes se sont tournées vers l'art et le bien-être durant cette période, les artistes, eux ne pouvaient pas exercer leur profession. Ainsi, alors qu'elle n'a jamais eu autant de demande pour des cours de yoga, Emmanuelle, danseuse et professeur de yoga ne pouvait alors pas donner ses cours. Certains ont profité de cette période comme d'un repos dans la course aux cachets. D'autres ont pu s'essayer à de nouvelles pratiques toujours relayés à plus tard ou peaufiner leur art et costumes. Les projetant dans des œuvres d'art, ce travail rend honneur à l'incroyable résilience des invisibles dont personne ne pourra éteindre la lumière.
Sacrifiés
« On nous sacrifie parce que la culture, c’est le premier domaine sur lequel on tape. On se sent inutiles : ceux qu’on peut sacrifier. On a compris l’idée, mais il
ne fallait pas le dire comme ça. C’est insultant. On ne peut pas se passer de nous. Il y aura toujours quelqu’un qui fera de l’art.
L’expression « vendre du rêve », je l’ai comprise en faisant ce travail. Moi qui suis timide, ça me plaît d’être devant les gens et de les faire rêver. Show must go
on.»
Toomch - Artiste de rue
Le doute
« Les artistes sont les médecins de l’âme. »
Philippe Saïd - Comédien " à la retraite"
Déconstruction
« Je ne pouvais plus danser, ça m’a forcé à déconstruire mes idées reçues sur moi-même pour commencer une formation.
C’est une sécurité mentale et financière.
Avant, je me disais que je ferais ça plus tard.
La danse, c’est le langage qui fait le plus sens pour moi.
Je suis passée de 35 heures par semaine de danse à rien.
C’est un sport aussi, une activité physique, ça libère des endorphines,
donc l’arrêt brutal a été dur, et a entraîné une dépression»
Alice Miljanovic. Étudiante en danse et en notation du mouvement.
Joie créatrice
«C’était terrible cette interdiction de travailler. On est passionné, c’est ce qui nous fait vivre.
Et là, tout ce qui brille reste dans des housses. C’est vexant et rabaissant.
Les gens nous le disent: ils sont ravis. On veut ressortir et faire rêver.
Pendant cette période, j’ai fait travailler des costumières, des équipes de tournages
et j’ai refait mon site internet. Mais j’ai eu un ras le bol total. L’ optimisme ça a ses limites...»
Gary Shoow - Transformiste
Abandonnée
« Quand j’ai entendu ce terme, j’ai doucement ri. J’ai ri jaune. C’est un métier compliqué et l’État s’en fout. C’est comme si on ne faisait pas un vrai métier. Ça ne compte pas. Alors que c’est une raison de vivre pour nous. Ça va être vraiment difficile. J’ai fini les cours de théâtre aux cours Florent en septembre 2020. Pour l’avenir, c’est dur, je me sens abandonnée, perdue, laissée pour compte, mais je ne veux pas laisser tomber. Je ne me vois pas faire autre chose. C’est toute ma vie. C’est un moteur. Sans art, à quoi ça sert de vivre.»
Ambre Fouvez, modèle photo et comédienne.
Relâchement
Carlota, Danseuse et stand-up. Mexico
«Tout ça, ça a rendu ce que je fais encore plus essentiel pour moi. L’art peut sauver le monde. Le flux d’informations négatives peut être contrecarré par un flux
d’informations positives. Le studio de danse où je travaillais à Mexico a fermé. Ma première réaction, c’est mon ego qui l’a mené avec la rébellion. Puis l’art est essentiel même sans les lieux
pour le pratiquer. Alors j’ai choisi de créer. Je cours toujours après les projets, artistiquement, "capitalistement", et là, tout s’arrête. Donc on se demande pourquoi on fait de l’art. Ça m’a
permis de relâcher la partie non-essentiel et de réveiller la partie essentielle en moi.
Ca a été l’occasion de prendre une pause que je ne prends jamais. Ça a accéléré la séparation avec mon mari et je suis rentrée en France. Ça m’a discipliné même.
Confinée, on a une routine. Au 2e confinement, je ne croyais plus en l’humour, je n’étais plus dans la liberté et le léger. J’avais envie de quelque chose qui a du sens, un truc plus
révolutionnaire
Reprendre un quotidien m’a redonné un potentiel de blague ; J’aime la danse et l’humour. Je le prends comme : le destin m’a dit Stop, recentre toi. C’était
l’opportunité de repartir de zéro. L’univers remet les choses à leur place.»
Fatalité
Adrien Laterre - Scénariste
« Je n’ai pas été surpris d’être qualifié de non-essentiel. C’était essentiel pour moi, mais pas pour les autres. Même dans le cinéma, on le ressent que le scénariste n’est pas essentiel, alors que toute l’histoire vient de lui. On nous traite déjà comme des non-essentiels dans notre métier. On n’a pas l’intermittence. On n’est pas sur l’affiche du film. Pourtant on est à l’origine de tout. Je suis sceptique face aux institutions surtout face aux promesses. Je m’épargne l’espoir d’y croire. Pour moi, 2020 c’était la double peine. C’est une très bonne année, je sors de 10 ans de clandestinité en France, sans papier. J’ai pas tant mal vécu, je faisais ce que j’arrivais. Et là pour la première fois, je pouvais voyager. Enfin je pouvais faire ce que je voulais. Mais non.»